À 19 ans, Evan Wall était un jeune homme brillant, originaire de la petite ville de Shellbrook, en Saskatchewan, dont les seules préoccupations étaient le football, l’école d’ingénieurs et la fête. Il était un excellent étudiant qui avait toutes les raisons d’envisager un avenir très brillant jusqu’en 2016, lorsqu’un grave accident de voiture et la lésion cérébrale traumatique qui en a résulté ont stoppé net sa vie insouciante.
Evan ne se souvient pas de l’accident survenu tard dans la nuit, sur une route de campagne. Il était le passager d’un camion qui s’est retourné et l’a éjecté par le pare-brise dans un fossé. Les ambulanciers n’avaient pas beaucoup d’espoir quant à sa survie lorsqu’une ambulance aérienne du Shock Trauma Air Rescue Service (STARS) l’a transporté à l’hôpital Royal University de Saskatoon. Il y a passé deux semaines aux soins intensifs, inconscient. Outre des contusions aux poumons et d’autres blessures mineures, Evan avait aussi subi une lésion cérébrale axonale diffuse. Les neurologues ne pouvaient pas prédire s’il allait se réveiller ou passer le reste de sa vie dans un état végétatif.
Sa famille, inquiète, a été ravie lorsqu’Evan a ouvert les yeux, au bout de quelques semaines. Cependant, il a fallu beaucoup plus de temps avant qu’il ne devienne alerte. Evan a passé six semaines au service de neurologie à apprendre à communiquer par des secousses de la tête et des signes de la main. Pendant cette période, il a dû porter des couches, être nourri par une sonde gastrique et apprendre à s’asseoir dans un fauteuil roulant.
« Après six semaines, j’étais plus alerte, mais je ne parlais toujours pas et je ne réagissais qu’en répondant oui ou non à des questions, par des gestes de la main. Le degré d’éveil après une lésion cérébrale peut varier considérablement, et son diminution peut être l’un des effets permanents. La fatigue due à une activité non seulement physique mais aussi cognitive est très courante après une lésion cérébrale, un effet avec lequel je vis encore. »
La parole et la coordination motrice d’Evan avaient été gravement endommagées. Il a passé l’hiver suivant dans l’unité de réadaptation de l’hôpital de la ville de Saskatoon, où il a suivi un programme quotidien de thérapies de la parole, d’ergothérapie, de récréation et de physiothérapie dans l’espoir de retrouver ses capacités à marcher, à parler, à manger sans aide, ainsi que de nombreuses autres compétences de base.
« Tout ce que je faisais était incroyablement laborieux et lent. On pourrait penser que la frustration m’aurait fait perdre la tête, mais mon esprit était entièrement occupé par les tâches à accomplir. Dans ce nouvel état d’esprit, mon sens de l’autonomie était mis à l’épreuve à chaque instant et il n’y avait plus de place pour mon ancienne attitude blasée face à la réussite. Cette option avait disparu de ma vie. Le sens d’humilité était soudain et absolu. »
Lorsqu’il a reçu son congé de l’hôpital pour retourner chez ses parents à Shellbrook, en Saskatchewan, Evan avait passé six mois à l’hôpital. Il devait faire face à une vie changée à jamais. Les compétences sportives et les prouesses scolaires sur lesquelles il avait construit sa vie avaient disparu. Il allait devoir se rebâtir.
« Le travail était éreintant et très solitaire. Ce que je faisais et ce que je vivais était présent dans mon esprit, mais la réflexion de haut niveau prenait du temps. Quelques mois auparavant, j’étais un étudiant en ingénierie brillant, capable de résoudre des équations dans ma tête. Maintenant, ma conscience était entièrement occupée par des tâches et des mouvements apparemment banals. Ironiquement, l’apprentissage et l’adaptation qui se déroulaient à l’intérieur de mon cerveau étaient plus dynamiques et plus exigeants que ce qu’un adulte en bonne santé aurait à endurer. Je travaillais plus dur pour apprendre les compétences de base de la vie courante que je ne l’avais jamais fait auparavant, à l’université ou dans tout autre aspect de ma vie. »
« Je n’étais plus cet Evan Wall, et je ne savais vraiment pas encore ce que cela allait signifier. Tout était nouveau et effrayant sans le soutien hospitalier auquel j’étais habitué. Tout ce dont j’étais sûr, c’est que je voulais me mettre au travail et guérir le plus vite et le plus possible. »
L’entraînement musculaire quotidien dans sa salle de sport locale est vite devenu une planche de salut. Au fil du temps, le corps d’Evan s’est renforcé et sa coordination s’en est trouvée améliorée. Lorsqu’il a compris qu’une bonne santé l’aiderait à optimiser son rétablissement, Evan a également commencé à prendre davantage soin de lui, il a cessé de boire et de fumer pour de bon.
La famille d’Evan est entrée en contact avec la Saskatchewan Brain Injury Association et, par son intermédiaire, avec l’équipe de sensibilisation aux lésions cérébrales de Saskatchewan Health, qui gère le programme PARTY (Prevent Alcohol and Risk-related Trauma in Youth) destiné aux élèves du secondaire. Evan a été invité à faire équipe avec des ambulanciers, des pompiers et des policiers pour aider à sensibiliser les élèves du niveau secondaire aux résultats potentiels des comportements à risque. Depuis 2018, Evan a présenté des conférences dans des écoles secondaires de la Saskatchewan et est connu pour être un orateur très engageant auquel les élèves peuvent s’identifier.
« Entendre le témoignage d’un jeune proche de leur âge ayant subi une lésion cérébrale faisait passer le message. Il y avait peu de différence entre moi et ces élèves en ce qui concerne les intérêts et le mode de vie festif. Ils étaient très réceptifs lorsque j’ai parlé des détails de ma vie après une lésion cérébrale. Ils semblaient prendre le sujet de la sécurité au sérieux lorsqu’ils ont appris que j’avais dû porter des couches, que je ne travaillais plus, que je n’allais plus à l’école, et même que je ne pouvais plus parler aux filles comme auparavant. J’étais heureux de contribuer à l’éducation sur les lésions cérébrales et d’offrir mon temps pour aider à garder d’autres adolescents hors des hôpitaux. »
Cinq ans après son accident, Evan a retrouvé sa voix, mais sous une forme altérée, qui donne à certaines personnes l’impression erronée qu’il est handicapé mental. Il marche également sans aide, mais sa démarche est lente et difficile. Evan vit seul à Saskatoon, où il se rend encore quotidiennement au gymnase local. En fait, Evan est devenu un fervent culturiste et il a même participé à des compétitions de culturisme.
« Le culturisme est l’une des formes les plus pures d’autodiscipline, car on se bat contre soi-même en permanence. Même pendant l’effort, le corps crie haut et fort et constamment qu’il veut plus de glucides, mais il ne les obtient pas. Les résultats peuvent être spectaculaires, mais l’autodiscipline nécessaire pour y parvenir est énorme. Je ne pense pas que je serais là où je suis maintenant si je n’avais pas traversé les rigueurs physiques et émotionnelles d’avoir frôlé la mort. »
« Repousser mes limites a toujours fait partie de mon parcours. Je l’ai fait physiquement dans ma jeunesse. Depuis ma blessure, j’ai dû défier mes limites mentales et émotionnelles aussi. Et je le fais encore aujourd’hui. Je peux dire en toute sincérité qu’en vivant avec cette lésion cérébrale, je me suis bien familiarisé avec la faiblesse physique et, en y faisant face, je suis devenu plus fort que je ne l’aurais jamais imaginé. »
À son grand désarroi, Evan a constaté que le monde extérieur réagit différemment à son égard depuis son accident. Certaines connaissances ne lui parlent plus de la même façon qu’avant. Les étrangers détournent le regard ou, lorsqu’ils interagissent avec lui, lui parlent souvent comme à un petit enfant. Evan pense que la société a beaucoup à apprendre sur la façon d’interagir avec les personnes handicapées de manière plus respectueuse.
« S’il y a une chose que je sais de propre expérience, pour avoir été à la fois une personne handicapée et une personne non handicapée, c’est que le monde y réagit de manière très différente. Avant mon accident, je n’aurais jamais imaginé qu’un jour je parlerais de discrimination basée sur les handicaps, de la fragilité qui en découle et des microagressions. J’étais un adolescent fort, agile et capable qui, ayant grandi avec une sœur autiste et épileptique, a été élevé dans le respect des différences des autres. Les préjugés, sous quelque forme que ce soit, n’ont jamais traversé mon esprit ou mon chemin. Je n’avais même pas entendu parler de la discrimination basée sur les handicaps avant ma blessure. »
En 2020, Evan a entrepris un projet d’écriture collaborative sur son parcours, avec une amie écrivaine, Susanne Gauthier. Au fil de nombreux cafés et entretiens avec la famille, les amis et des membres de la communauté des lésions cérébrales, Susanne a rédigé l’histoire d’Evan dans tous ses détails – de son point de vue. Ce mémoire, rédigé en collaboration, intitulé Rebuilding a Brick Wall, publié par DriverWorks Ink, Regina SK 2021, est disponible dans les librairies canadiennes.
Que veut Evan que les gens retiennent de son histoire ?
« Pour ceux qui ont subi une blessure, j’aimerais qu’ils retiennent qu’ils vont toujours avancer, s’ils refusent d’abandonner. Même si la vie semble complètement différente de ce qu’elle était avant, il y a toujours des réussites et des moments de joie qui font que le voyage en vaut la peine, sans parler de la sagesse qu’on en gagne! »
« Pour les personnes valides, non-handicapées : vous ne pensez peut-être pas être mal à l’aise lorsque vous rencontrez une personne handicapée, vous ne croyez pas la traiter différemment, mais en êtes-vous sûr ? Les microagressions sont encore fortement ancrées dans notre culture. Nous commençons tout juste à reconnaître la variété des microagressions encore répandues envers les personnes ayant des différences de capacité. »
Vous trouverez de plus amples informations sur le site web d’Evan et Susan.